la précarité menstruelle chez les détenues
Pendant leurs règles, la majorité des femmes détenues dépendent des protections d’hygiène menstruelle qui leur sont distribuées par le centre pénitentiaire dans lequel elles sont affectées. Le manque de protections contraint certaines détenues à avoir recours à des solutions de fortune pouvant avoir des conséquences dangereuses pour leur santé et provoquer un sentiment d’humiliation.
une situation de précarité critique en prison
La précarité menstruelle est le manque ou la difficulté d’accès des personnes réglé·e·s aux protections hygiéniques dû à une situation de pauvreté. En France, 1,7 millions de personnes réglé·e·s sont touché·e·s. Cela vient du coût élevé des protections et/ou de leur accès pour certains publics. La principale conséquence est l’exclusion des personnes réglé·e·s.
La population carcérale est souvent précaire, disposant de peu de moyens. Dans les lieux de détention, les femmes reçoivent un « kit arrivante » avec un nécessaire d’hygiène comprenant quelques serviettes hygiéniques. Même si elles ont souvent accès à des protections supplémentaires, elles leur coûtent plus cher que dans les grandes surfaces, et s’en procurer de meilleure qualité reste compliqué. Un article de L’Obs citait à titre d’exemple les tarifs pratiqués par la maison d’arrêt de Nice : « Les tampons de la marque Nett sont environ 30 % plus chers que dans le commerce. Pour les serviettes de la marque Nana, le prix est 60 % plus élevé. » Ces produits sont donc réservés à celles ayant des ressources financières pour faire des achats “en cantine” (vente par correspondance gérée par l’administration de la prison) ou à celles dont les proches apportent de l’aide pour répondre à ce besoin de première nécessité.
D’après L’Observatoire International des Prisons (l’OIP), au 1er janvier 2020, il y avait en France 2 532 femmes détenues sur un total de 70 651 personnes incarcérées, soit 3,8 % de la population carcérale. Seules deux prisons leur sont spécifiquement réservées : le centre pénitentiaire de Rennes et la maison d’arrêt de Versailles. Pour les 55 autres établissements qui accueillent des femmes détenues, elles sont affectées dans des « quartiers femmes » qui sont « généralement enclavés, isolés du reste de la détention, ce qui rend l’accès aux différents services plus difficile pour elles ».
le manque de protections et le recours à des systèmes D provoquent humiliation et isolement
L’OIP dénonce, d’après de nombreux témoignages de détenues, la trop faible quantité de protections distribuées à l’entrée en prison : de 4 à 20 serviettes (parfois non emballées) selon les établissements. Ce kit d’arrivée n’est pas toujours renouvelé. Dans certaines prisons, des associations donnent des lots complémentaires, mais pas suffisants pour répondre aux besoins de toutes. Et souvent, en cas d’attente ou de règles trop abondantes, les détenues ont recours à des système D improvisés par chacune : « Pendant mes règles, j’ai dû utiliser des gants de toilette et des chaussettes. J’étais déprimée, je me sentais une moins que rien. Si vous avez une fouille au corps, c’est l’humiliation » (propos recueillis par l’OIP en 2019). Certaines détenues se fabriquent des “cups” faites à partir de bouteilles en plastique ou du papier toilette.
D’après la sociologue Yaëlle Amsellem-Mainguy, qui a enquêté auprès de mineures incarcérées en EPM (Établissement Pour Mineur·e·s) et en maison d’arrêt, les règles deviendraient même « un lieu de sanction extrême ». Des jeunes filles expliquent se faire fournir sous la table des protections par leur famille au risque d’être interdites de parloir. Certaines préfèrent ne plus aller en cours, de peur que cela se voit. Mais aussi, par crainte d’une stigmatisation en cas de taches sur leurs pantalons, certaines déclinent toute activité et sortent très peu de leur cellule pendant leurs règles.
La sexologue Norah Lounas, intervenante à la maison d’arrêt d’Epinal témoigne : « C’est une grande préoccupation pour celles qui ne sont pas habituées à la détention. Elles s’inquiètent de savoir si les règles vont revenir et si ça a une incidence sur leur fertilité », « Dans certaines prisons anciennes comme Rouen, Metz, Saintes, les femmes ont droit, comme les hommes, à seulement trois douches par semaines* – qu’elles aient leur règles ou non »
Ces restrictions impliquent des conséquences importantes sur la vie des femmes en prison. Selon les chercheuses citées, cela participe à la perte d’estime de soi et peut avoir des effets sur la construction de la féminité.
* Les témoignages ont été recueillis par l’OIP (Observatoire, international des prisons) et par le CGLP (Contrôleure, Générale des Lieux de Privation de liberté)
les mesures prises par l’assemblée nationale dans son Rapport d’Information
Un rapport parlementaire sur les règles et le tabou encore présent en société, est rendu public en février 2020 par les députées Laëtitia Romeiro Dias et Bénédicte Taurine. La lutte contre la précarité menstruelle en est l’un des grands axes de réflexion. L’objectif du rapport est de formuler 47 recommandations, certaines très opérationnelles, d’autres ouvrant des pistes de réflexion plus long terme. Les recommandations n° 29, 30, 31 concernent directement les droits des femmes détenues.
Les rapporteures rappellent que l’administration doit être particulièrement vigilante à ce que les détenues ne fassent pas passer leur hygiène et leur santé après d’autres dépenses. Elles insistent sur l’importance de la variété des protections jetables proposées aux détenues dans les systèmes de cantines “Chaque cycle menstruel est unique et certaines femmes ont besoin de davantage de protections chaque mois ; l’administration doit être vigilante sur ce point.”
Recommandation n°29 : permettre à toutes les prisons accueillant des femmes de disposer de suffisamment de types de protections menstruelles pour répondre aux besoins de chacune des détenues.
Recommandation n°30 : faciliter le nettoyage en machine par les femmes en situation carcérale de leurs vêtements, sous-vêtements et tissus souillés.
Recommandation n°31 : évaluer de manière exhaustive la prise en compte de la santé menstruelle des femmes en situation d’enfermement.
“ Quel que soit le lieu de privation de liberté et quelle que soit la durée de la privation de liberté, la dignité de la personne humaine doit être respectée et cela passe, entre autres, par une vigilance quant à la situation sanitaire et menstruelle des femmes.”
En appui à ce dernier rapport, les cabinets de Marlène Schiappa (secrétaire d’état chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes) et Christelle Dubos (secrétaire d’état auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé) ont annoncé dans un communiqué commun que le gouvernement mettra en place cette année une expérimentation de protections périodiques gratuites pour les femmes précaires. La sénatrice Patricia Schillinger a souligné le besoin d’expérimenter la gratuité des protections pour les femmes incarcérées.
des associations militent pour la gratuité des protections périodiques en prison
Des militantes de l’association Georgette Sand ont manifesté en octobre dernier devant le ministère de la Justice à Paris, pour réclamer que les 2.550 femmes détenues dans les prisons de France puissent bénéficier de protections menstruelles à moindre coût.
Georgette Sand demandait :
Dans un premier temps, la mise en place immédiate de “cantines” à prix coûtant, c’est-à-dire au même prix qu’à l’extérieur, car il s’agit d’un produit de première nécessité.
Puis, la mise à disposition gratuite de protections sans composants chimiques fournis par des fournisseurs contrôlés sur le plan sanitaire.