vie de règles #6 — J’ai connu la précarité menstruelle et je la dénonce aujourd’hui

Anouk Perry
article publié le 13/08/2020 / dernière mise à jour le 21/04/2021

Les règles arrivent à la moitié de l’humanité, mais tout le monde n’a pas les moyens de s’en protéger correctement. Témoignage de Christelle, qui dénonce ce qu’elle a elle-même vécu.

le CV des règles de Christelle

Prénom

Christelle

Âge

33 ans

Âge de ses premières règles

13 ans

Durée de ses cycles

21 jours

Durée de ses règles

7 jours

Slogan pour désigner les règles ?

Pourquoi ça coûte si cher ?

Enfant, tout ce que je savais des règles venait des publicités à la télévision : un liquide bleu, absorbé par une espèce de couche, et des femmes qui semblaient heureuses d’accueillir ce moment particulier. En vérité, je ne savais rien du cycle menstruel, de sa durée, de son abondance, et de tout ce qui pouvait l’entourer, notamment le tabou.

le prix de mes premières règles

Quand mes premières règles sont arrivées, j’étais fière ! J’avais tout juste 13 ans, et dans ma tête, j’étais enfin une femme. J’avais l’impression d’avoir atteint un objectif de vie. Je suis sortie des toilettes et j’ai dit : « maman, il y a du sang dans ma culotte ! ». Mes parents étaient là tous les deux, ils étaient heureux et mon père est sorti m’acheter un paquet de serviettes hygiéniques.

J’ai bien sûr très vite déchanté. 

Mes premiers cycles étaient un enfer : j’avais des règles longues et abondantes, et peu de répit. Plus précisément : 7 jours de règles, toutes les 2 semaines. J’avais besoin de beaucoup de protections, et à chaque fois que je prévenais mon père qu’il m’en fallait de nouvelles (car c’est lui qui gérait les courses), il me répondait toujours la même chose : « Déjà ? Mais, tu les manges ? ». 

Bienvenue à toi, spirale de la honte ! J’ai donc commencé à « réduire » ma consommation, c’est-à-dire à porter mes serviettes hygiéniques le plus longtemps possible, avant de changer. 

[Ndlr : Attention, il est important de ne pas garder une serviette hygiénique ou autre protection périodique plus du temps indiqué, en fonction des protections que vous utilisez. Au delà, cela comporte des risques sanitaires comme un risque plus élevé de Syndrome du choc toxique.]

quand les parents refusent de dépenser pour les règles 

Quelques temps plus tard, je suis partie en vacances avec mes grands-parents et j’ai complètement oublié de prévoir mes règles.

Je ne les attendais pas, mais elles se sont invitées… J’ai donc réclamé des protections à ma grand-mère, qui a refusé de m’acheter des serviettes en avançant le motif suivant :

« Comment on faisait dans le temps, à ton avis ? »

Je pense qu’elle avait honte de faire cet achat pour moi. J’ai donc passé une semaine avec des boules de cotons entourées de papier toilette au fond de la culotte.

En plus de l’inconfort, des taches, du tabou et de la honte se sont ajoutées les chatouilles. Vous savez : ça rougit, puis ça gratte, et enfin, ça brûle ! 

Je n’en ai parlé à personne, j’ai gardé ça pour moi, ne sachant ni ce que c’était, ni ce que je devais faire. Je n’avais pas internet. Puis j’ai craqué et j’en ai parlé à ma mère. Pour mes parents, il était hors de question de consulter pour ça. Alors j’ai donc eu une lotion nettoyante, par le biais d’une de mes cousines préparatrice en pharmacie.

En termes de tabou et de honte, on a atteint un niveau assez élevé ! Et je ne savais toujours pas de quoi il était question !

le début de la vie d’adulte et la précarité menstruelle 

À 18 ans, quand j’ai quitté le domicile familial pour suivre mes études, j’ai connu de gros soucis financiers. J’ai directement emménagé en couple, avec un étudiant, et nous n’avions que 120 euros par mois pour les courses, les factures et les achats liés à nos études (livres, matériels, etc.). 

C’est là que je me suis vraiment rendue compte de la difficulté de se protéger pendant ses règles. Surtout avec des règles abondantes qui exigent un certain investissement !

Les mots culpabilisants de mon père résonnaient d’autant plus fort. À ce moment-là, je ne connaissais rien de la précarité menstruelle, ni des aides qui pouvaient exister. Je faisais avec, et j’imaginais que c’était pareil pour tout le monde… 

J’ai donc gardé et renforcé mes mauvaises habitudes de la maison : porter mes serviettes hygiéniques, ou mes tampons, le plus longtemps possible avant de me changer – lorsque ça commence à fuiter, en somme. Et puis utiliser uniquement du papier toilette les premiers et derniers jours de règles, quand le flux est moins abondant. Des jours particulièrement angoissants, avec la peur constante de la fuite qui tache… 

Heureusement que je n’ai jamais eu de choc toxique. Heureusement que je n’ai jamais souffert d’endométriose. Qu’aurais-je fait ? En parler ? Certainement pas… J’étais engluée dans la honte, je détestais mon corps, mon sexe, tout ce sang… 

sortir de la précarité menstruelle

Lors de mon premier rendez-vous gynécologique, vers 20 ans, j’ai découvert que je souffrais de mycoses à répétition depuis l’adolescence, jamais traitées, jamais soignées. Face à cette professionnelle, je n’avais pas osé parler de mes « chatouilles », mais il se trouve que j’avais une infection à ce moment-là. J’ai enfin eu le diagnostic que j’attendais depuis des années, le traitement que j’attendais depuis des années, et les conseils qui me manquaient depuis des années.

Pendant 7 ans, alors que j’étais si heureuse au départ d’avoir mes règles, j’ai profondément souffert. J’ai souffert physiquement de mes cycles difficiles. J’ai souffert psychologiquement de la honte qui s’est installée autour de mes règles. Après l’épisode avec mes grands-parents, je n’ai plus jamais évoqué le sujet, avec qui que ce soit, même pour me faire dépanner une serviette ! Et puis j’ai souffert financièrement, car se protéger efficacement était un budget dont je ne disposais pas.

Heureusement, par la suite, ma situation financière s’est débloquée. Quel bonheur : je pouvais enfin m’offrir les protections nécessaires, adaptées à mon flux de règles. Je pouvais enfin remplacer mes serviettes et tampons, sans attendre qu’ils soient au bord de l’explosion. Et je n’avais plus besoin d’utiliser du papier toilette : j’ai découvert les protège-slips ! Je me suis même offerte une coupe menstruelle !

comment lutter contre la précarité menstruelle ? 

Du haut de mes 33 ans, je suis capable de rire de cette période, mais je ne peux m’empêcher de ressentir également une profonde colère. Vis-à-vis de ma famille qui a construit cet énorme tabou autour de mes règles. Vis-à-vis des prix et taxes pratiqués qui rendent les protections hygiéniques difficiles d’accès pour les personnes les plus démunies. Vis-à-vis de moi, de m’être enfermée dans ma honte, incapable d’appeler à l’aide. 

A chaque histoire, il est bon de trouver une morale, un point positif, un axe d’amélioration pour le futur. Ici, j’enfoncerai une porte ouverte : il faut parler librement de ses règles. C’est un phénomène naturel, et il ne devrait être soumis à aucun tabou. De plus, personne n’est apte à juger de la quantité de protections nécessaires à une personne menstruée (ça, c’est pour toi, papa) ! 

Enfin, il me semble urgent de démocratiser les protections. Notamment les protections lavables, qui sont une belle économie sur le long terme. Et pour les personnes les plus démunies, il est nécessaire de porter à leur connaissance toutes les aides matérielles qui existent, comme les associations qui distribuent gratuitement des tampons et des serviettes, ou encore les ateliers de confection de protection lavable maison.

Une fois pour toute : la taxe rose, ça suffit !


Anouk Perry
Article rédigé par : Anouk Perry
Rédactrice
À la fois journaliste web et réalisatrice de podcasts, Anouk Perry cumule les casquettes toujours dans un même but : démystifier l'intime ! Sa devise ? Il n'y a pas de question stupide. Sujets de prédilection : intimité et sexualité.